samedi 13 décembre 2014

Le concept de Tradition selon René Guénon / Abd al-Wâhid Yahyâ

Il convient de comprendre ce que signifie ce concept de tradition généralement nié, dénaturé ou méconnu.

Il ne s'agit pas de couleur locale, de coutumes populaires, ni de mœurs curieuses collectionnées par les folkloristes, mais de l'origine même des choses. La tradition est la transmission d'un ensemble de moyens consacrés qui facilitent la prise de conscience de principes immanents d'ordre universel, puisque l'homme ne s'est pas donné à lui-même ses raisons de vivre. L'idée la plus proche, la plus capable d'évoquer ce que le mot signifie, serait celle d'une filiation spirituelle de maître à disciple, d'une influence formatrice analogue à la vocation ou à l'inspiration, aussi consubstantielle à l'esprit que l’hérédité au corps. Il s'agit là d'une connaissance intérieure, coexistante à la vie, d'une coexistence, et en même temps d'une conscience supérieure reconnue comme telle, d'une co-science, à ce point inséparable de la personne qu'elle naît avec elle et constitue sa raison d'être. A ce point de vue, l'être est complètement ce qu'il transmet, il n'existe que par ce qu'il transmet et dans la mesure où il transmet.

Indépendance et individualité apparaissent comme des réalités relatives qui témoignent d'un éloignement progressif et d'une déchéance continue à partir d'un état extensif de sagesse originelle, parfaitement compatible avec une économie archaïque. Cet état originel peut être représenté par le concept de centre primordial dont le Paradis Terrestre de la tradition hébraïque constitue un des symboles, étant compris que cet état, cette tradition et ce centre constituent trois expressions de la même réalité. Grâce à cette tradition antérieure à l'histoire, la connaissance des principes a été, dès l'origine, un bien commun à l'humanité qui s'est ensuite épanouie dans les formes les plus hautes et les plus parfaites des théologies de la période historique. Mais une déchéance naturelle, génératrice de spécialisation et d’obscuration, a creusé un hiatus croissant entre le message, ceux qui le transmettent et ceux qui le reçoivent. Une explication devint de plus en plus nécessaire, une polarité apparut entre l'aspect extérieur, rituel, littéral et le sens originel, devenu intérieur, c'est à dire obscur et incompris. En Occident cet aspect extérieur prit en général une forme religieuse. Destinée à la foule des fidèles, la doctrine s'est scindée en trois éléments, un dogme pour l'intelligence, une morale pour l'âme et des rites pour le corps.

Pendant ce temps, et à l'opposé, le sens profond devenu ésotérique se résorbait de plus en plus dans des aspects si obscurs qu'il fallut recourir aux exemples parallèles des spiritualités orientales pour reconnaître leur cohérence et leur validité.

Luc Benoît - " L'Ésotérisme ", Que Sais-je ?

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