lundi 8 février 2016

Ipséité et relation

Dans son livre intitulé "Vers une conscience planétaire" / "The planetarization of
consciousness
" (publié en 1970), Dane Rudyar décrit le développement d'une conscience
planétaire qui doit permettre à l'homme de vivre en plénitude, en harmonie avec les lois du cosmos. Mais auparavant, notre vision du monde physique et du monde métaphysique, notre relation à nous-même et aux autres seront bouleversées.


Dans le chapitre 4 (1ère partie - Le monde psychologique), l'auteur définit l'ipséité comme toute forme d'existence intégrale possédant des caractéristiques individuelles susceptibles de se maintenir tout au long d'un cycle de vie complet.
L'ipséité générique, l'homme en tant qu'organisme, évolue vers l'ipséité individualisée (potentiel réalisé ou pas) manifestant la présence d'un Soi.
Blocages possibles : la famille, la religion, les événements nationaux, la collectivité...
La finalité du processus de développement de chaque être humain est l'édification d'une conscience réfléchie capable de percevoir l'existence du Soi à l'intérieur de l'organisme total, mais saura faire accéder tout ce qui relève de l'énergie intégrante du Soi à l'état conscient.


L'ipséité originelle, pour croître et réaliser son potentiel d'existence, doit compter avec les multiples relations dans lesquelles elle entre, et qui pourront aider ou contrecarrer son développement.

Il existe deux types de relations : matricielles et associatives.
  • La relation matricielle est semblable à celle de l'embryon avec sa mère, le processus d'assimilation étant placé sous le contrôle des forces formatrices de l'espèce humaine et du code génétique. La mère est le facteur positif et actif, l'embryon est le facteur passif et réceptif.
  • Dans la relation associative, on se confronte à d'autres existants, il y a un certain degré de réciprocité, un jeu plus ou moins conscient d'actions / réactions entre les personnes.

Après la naissance, il y a un transfert des relations matricielles au niveau de la psyché et des sentiments. La matrice est faite du corps social, culturel et religieux de traditions collectives qui ont structuré et imprègnent totalement sa famille et son milieu scolaire. L'enfant continue à se relier à certaines personnes de façon matricielle, celles-ci « alimentent » sa conscience en croissance en « nourritures psychiques et mentales ».

La formation de l'ego et du mental de l'enfant permettra de percevoir la personnalité humaine sous le masque des figures archétypales des parents, pour aboutir à une relation associative. Ce passage est perturbé, voir traumatique.
L'enfant est potentiellement un individu, son organisme est humain de façon « générique », sa conscience est au niveau latent.

Sur le plan éducatif, Rudhyar met en parallèle la thèse : l'idéal d'éducation hindou antique et celui de la Chine ancienne basé sur des structures sécurisantes et stables (codes de comportement, normes collectives, système traditionnel de valeurs) qui faisaient blocage à l'apparition de comportements et pensées véritablement individuels.
Et l'antithèse : Notre monde occidental contemporain dans lequel la matrice socio-culturelle de la société a éclaté presque partout et où la permissivité des parents et l'idéal de parents-copains (sans image parentale forte), ajouté à l'exposition aux images chaotiques de la télévision, aboutit chez l'enfant à la construction d'un ego soit agressif, soit défaitiste. L'agressivité produit un profond sentiment d'insécurité, un individualisme exagéré, malsain. Son développement précoce est en fait un brouillage du système nerveux et de l'affectivité de l'enfant, devant une surabondance de « nourritures » mentales et émotives inassimilables.
C'est l'antithèse qui doit précéder une synthèse vers une nouvelle représentation de l'homme.

Au stade primitif de l'évolution humaine, la tribu est une matrice extrêmement efficace et contraignante ; de même que la terre qui nourrit le groupe d'homme qui la travaille : à ce niveau on a des rudiments d'ipséité individuelle, celle-ci est potentielle, elle est de nature générique et se définit par la race, le territoire, une tradition et un rituel rigides. Dans l'état tribal, les relations matricielles ont un pouvoir quasi absolu. L'homme biologique et générique a une conscience liée à la fonction vitale, des buts de conservation et d'expansion du vivant.

Le « Je » individuel ne peut naître qu'avec des relations de type associatif

À travers le processus d'individuation, la tribu devient royaume, les villes établissent des rapports entre elles, un commerce, des ambitions, puis la soif de pouvoir individuel grandie, se développe la ruse et les aptitudes intellectuelles...  Le centre de sa conscience est dans la pensée.

La synthèse est l'unité dans la diversité :
S'établit un processus de transfert d'un centre biologique d'intégration (le Soi générique) à un centre mental ou idéiste (le Soi individuel) qui correspond à une repolarisation de la conscience.

Le centre de la conscience de l'homme est dans une pensée qui se centre sur le « cœur », sa pulsation, son rythme élémentaire, son timbre (au sens musical). Le « Cœur » est le siège dans le champ de force électromagnétique (l'aura). 


Lors de la synthèse il ne faut pas nier la validité des thèses (tribus) et antithèses (individuations). Des grands rebelles, aventuriers qui cherchent l'or, les ascètes / saints qui cherchent Dieu... il faut allier ces deux états dans ce qu'ils ont de plus riche et d'authentique.
Le but évolutif est d'accéder à une communauté planétaire surtribale, une communauté d'individus entiers, pleinement conscients, intérieurement libres, où chacun apporte à l'ensemble planétaire la « vérité d'existence » qu'il a conquise lui-même, c'est à dire son aptitude à accomplir efficacement tout ce que sa place et ses fonctions au sein de la communauté terrienne exigent de lui. Il s'agit de l'idéal de la « société gnostique » de Sri Aurobindo.

Les crises que l'on pourrait appeler « crucifixions » sont toujours le résultat de relations d'un type ou d'un autre. Elles sont déclenchées par l'énergie que libèrent les relations, exaltation joyeuse ou tragédies dans lesquelles s'engloutit l'ego.
La relation entre le gouru et ses disciples, classique dans la tradition indienne, est l'une de ces relations transformatrices qui peut initier la révolution qui renversera le pouvoir autocratique de l'ego et bouleversera radicalement les structures juridiques et institutionnelles de la société (la personnalité consciente) qu'il gouvernait. 

Psychanalyste / Psychiatre / Directeur de conscience des catholiques remplacent en occident le gouru, mais ce dernier s'appuie sur une connaissance spirituelle et cosmique. À ce propos Rudhyar critique la psychologie occidentale qui cherche (dans la majorité des cas) à réadapter la personne perturbée, devenue antisociale, pour qu'elle puisse à nouveau fonctionner sans heurt et exercer avec plus ou moins de bonheur sa créativité, alors que la crise cherchait peut être à repolariser radicalement la conscience au prix de la répudiation des valeurs de la société.
 

Dane Rudhyar met en garde contre l'attrait de la forme groupale ancienne qui se fait vivement sentir en période de crise profonde, de déception et d'échec.
Le «groupe » attire derrière ses digues des egos rompus par la tempête qui cherchent à parer l'assaut du prochain orage. Le fils de l'homme ne naît pas comme ça, le plérome accueille l'individu fort et entreprenant qui a su remporter des victoires répétées sur l'emprise rétrograde de l’Ère des Ténèbres (Kali Yuga). 

Ces victoires sont les « épreuves » des textes anciens qui décrivent le chemin de l'initiation – c'est à dire le processus qui conduit au plérome. Le vrai chemin est solitaire.