Son œuvre oppose les civilisations restées fidèles à l'« esprit traditionnel » qui, selon lui, « n'a plus de représentant authentique qu'en Orient » à l'ensemble de la civilisation moderne, considérée comme déviée. Elle a modifié en profondeur la réception de l'ésotérisme en Occident dans la seconde moitié du XXe siècle, et a eu une influence marquante sur des auteurs aussi divers que Mircea Eliade, Hubert Benoit, Raymond Queneau ou encore André Breton.
Source Wikipédia
L'"esprit moderne" obéirait au principe de l'entropie et serait le fruit d'une dégradation progressive de la "Tradition" dans le sens "Guénonien" du terme. Notre époque se rapprocherait de la copie inversée de ce qu'était le monde à l'origine de l'humanité : inversement des valeurs, prédominance du rationalisme et du matérialisme, culte du Veau d'Or et étouffement de toute spiritualité, séparation de l'homme et de la nature, développement du binôme division / uniformisation (opposés à celui de l'unité / division)...
Quoique nous fassions, nous sommes tous imprégnés de l'"esprit moderne" propre à la fin de l'ère du Kali Yuga, époque la plus éloignée de l'âge d'Or de la "Tradition" originelle et universelle d'avant l'Histoire connue (il y a + de 4 millions d'années) selon la cosmogonie hindoue.
Ce que Guénon appelle la "Tradition" est une sagesse immuable d'origine divine, une "Tradition Primordiale", transmise depuis l'origine de l'humanité et restaurée en partie par chaque fondateur d'une nouvelle religion, mais progressivement pervertie et détournée par les transmetteurs des religion et par l'évolution naturelle du monde.
Cette "dégradation" (mot probablement impropre) fait dont partie du "plan", car comme le dit René Guénon page 7 du "Règne de la Quantité" : "Même les erreurs sont justifiées : car tout ce qui existe en quelque façon que ce soit, même l’erreur, a nécessairement sa raison d’être, et le désordre lui-même doit finalement trouver sa place parmi les éléments de l’ordre universel."
Ce qui rappelle un peu la phrase du Christ (Mattieu 18 v7-11) : "Malheur au monde à cause des scandales ! Car il est nécessaire qu’il arrive des scandales; mais malheur à l’homme par qui le scandale arrive !"
Pour résumer, le bordel mondial est inévitable (pour aboutir à l'éveil des consciences?) et ce phénomène s'accélère comme le phénomène de la chute libre ; le tout est d'en être conscient et de ne pas pour autant soi-même un générateur de chaos par sa façon de vivre. Du moins, c'est comme ça que je comprends cette facette de la métaphysique de Guénon.
Parmi les ouvrages lus de l'auteur, la "Crise du monde moderne" et "Règne de la Quantité et les Signes des Temps" (écrits respectivement en 1927 et 1945) anticipent de manière très précise et impressionnante, l'état du monde dans lequel nous vivons en ce début de XXIe siècle.
Extrait du "Règne de la Quantité et les Signes des Temps" :
La vérité est que cet
esprit moderne, chez tous ceux qui en sont affectés à un degré quelconque,
implique une véritable haine du secret et de tout ce qui y ressemble de près ou
de loin, dans quelque domaine que ce soit ; [...] Au fond, le véritable secret, et
d’ailleurs le seul qui ne puisse jamais être trahi d’aucune façon, réside
uniquement dans l’inexprimable, qui est par là même incommunicable, et il y a
nécessairement une part d’inexprimable dans toute vérité d’ordre
transcendant ; c’est en cela que réside essentiellement, en réalité, la signification
profonde du secret initiatique ; un secret extérieur quelconque ne peut
jamais avoir que la valeur d’une image ou d’un symbole de celui-là, et aussi,
parfois, celle d’une « discipline » qui peut n’être pas sans profit.
Mais, bien entendu, ce sont là des choses dont le sens et la portée échappent
entièrement à la mentalité moderne, et à l’égard desquelles l’incompréhension
engendre tout naturellement l’hostilité ; du reste, le vulgaire éprouve
toujours une peur instinctive de tout ce qu’il ne comprend pas, et la peur
n’engendre que trop facilement la haine, même quand on s’efforce en même temps
d’y échapper par la négation pure et simple de la vérité incomprise ; il y
a d’ailleurs des négations qui ressemblent elles-mêmes à de véritables cris de
rage, comme par exemple celles des soi-disant « libres-penseurs » à
l’égard de tout ce qui se rapporte à la religion.
La mentalité moderne
est donc ainsi faite qu’elle ne peut souffrir aucun secret ni même
réserve ; de telles choses, puisqu’elle en ignore les raisons, ne lui
apparaissent d’ailleurs que comme des « privilèges » établis au
profit de quelques-uns, et elle ne peut non plus souffrir aucune
supériorité ; si on voulait entreprendre de lui expliquer que ces
soi-disant « privilèges » ont en réalité leur fondement dans la
nature même des êtres, ce serait peine perdue, car c’est précisément là ce que
nie obstinément son « égalitarisme ». Non seulement elle se vante,
bien à tort d’ailleurs, de supprimer tout « mystère » par sa science
et sa philosophie exclusivement « rationnelles » et mises « à la
portée de tout le monde » ; mais encore cette horreur du
« mystère » va si loin, dans tous les domaines, qu’elle s’étend même
jusqu’à ce qu’on est convenu d’appeler la « vie ordinaire ».
Pourtant, un monde où
tout serait devenu « public » aurait un caractère proprement
monstrueux ; nous disons « serait », car, en fait, nous n’en
sommes pas encore tout à fait là malgré tout, et peut-être même cela ne
sera-t-il jamais complètement réalisable, car il s’agit encore ici d’une
« limite » ; mais il est incontestable que, de tous les côtés,
on vise actuellement à obtenir un tel résultat, et, à cet égard, on peut
remarquer que nombre d’adversaires apparents de la « démocratie » ne
font en somme qu’en pousser encore plus loin les conséquences s’il est
possible, parce qu’ils sont, au fond, tout aussi pénétrés de l’esprit moderne
que ceux-là mêmes à qui ils veulent s’opposer. Pour amener les hommes à vivre
entièrement « en public », on ne se contente pas de les rassembler en
« masse » à toute occasion et sous n’importe quel prétexte ; on
veut encore les loger, non pas seulement dans des « ruches » comme
nous le disions précédemment, mais littéralement dans des « ruches de
verre », disposées d’ailleurs de telle façon qu’il ne leur sera possible
d’y prendre leurs repas qu’ »en commun » ; les hommes qui sont
capables de se soumettre à une telle existence sont vraiment tombés à un niveau
« infrahumain », au niveau, si l’on veut, d’insectes tels que les
abeilles et les fourmis ; et on s’efforce du reste, par tous les moyens,
de les « dresser » à n’être pas plus différents entre eux que ne le
sont les individus de ces espèces animales, si ce n’est même moins encore.
[...] La
haine du secret, au fond, n’est pas autre chose qu’une des formes de la haine
pour tout ce qui dépasse le niveau « moyen », et aussi pour tout ce qui
s’écarte de l’uniformité qu’on veut imposer à tous ; et pourtant il y a,
dans le monde moderne lui-même, un secret qui est mieux gardé que tout
autre : c’est celui de la formidable entreprise de suggestion qui a
produit et qui entretient la mentalité actuelle, et qui l’a constituée et,
pourrait-on dire, « fabriquée » de telle façon qu’elle ne peut qu’en
nier l’existence et même la possibilité, ce qui, assurément est bien le
meilleur moyen, et un moyen d’une habileté vraiment « diabolique »,
pour que ce secret ne puisse jamais être découvert.
Le
Règne de la Quantité et les Signes des Temps, René Guénon, éd. Gallimard, 1945,
chap. XII La Haine du Secret, p. 88